Blackbirdan online journal of literature and the artsFall 2016  Vol. 15 No. 2
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back JOSUÉ GUÉBO

Songe à Lampedusa

Je te conterai
Pour la dernière fois
Mon histoire, ma vague

J’ai rêvé de toi
Comme on rêve d’un œil
Sans paupière
Une histoire habitant mes nuits
De veille
Les allées
De mon espérance enferrée
J’ai rêvé de toi
Comme on rêve
D’une main simple
D’un jour
Clair
Rêvé de matins
Où le jour
Ne tiendrait qu’à la flamme d’un radeau
Mais elle serait tout
Accord des cœurs
Faisant file
Sous les persiennes
Des discordes éteintes

~

Les ratures même
Seraient des cordes
De concorde
Où s’accorderaient
En un nouveau décor
Le jour et la nuit
Parfois le matin
Ne tiendrait qu’à une flamme
Mais elle serait tout
Cette aube
Par où brillerait
Les soirs en fête
Les nuits en joie
Et le matin
Qui vient
Et là j’avouerais cent fois
Les lignes de ma course folle
L’arabesque de ma cavale
Le champ de mes signes éventés
Je serais sur l’océan des exodes
De ceux que le bruit des vagues
Console !
De ceux faits de l’argile
Des palmes

~

Et je n’allumerais
Ni cierge
Ni chandelle
Aux yeux de l’océan
à nulle eau
Je ne dirais
La peine
Où se réverbère
Ma larme
Il y a bien
Pire qu’un radeau
à la dérive
La terre qui ferait naufrage
Le sol
De la conscience
Aride à la fraternité
Son océan
D’histoires
Où crissent les tragédies
Il y a pire qu’un radeau
à l’agonie
La terre oublieuse
D’être maternelle

~

Sa mine fléchée
De maximes dérisoires
Et le sourire pleurant
D’un œil éteint
Son humanité avariée
Et nous, écorchés
à coup de mots
à quintes amères
à corps déments
Et en rade des querelles
Qui parlerait pour les naufragés ?
Qui dirait la saignée ?
De ceux qui
Encore demain
Partiraient
Il y a bien pire qu’un radeau
à la dérive
La terre oublieuse
D’être nôtre
La terre qui aurait
Pu faire écran
Avant que ne surnagent d’immenses
Laitues
Aux cils des eaux

~

La mine grave
Le scenario mal léché
Biffant par grappes entières
Des lignes de vie
Dix ratures la minute
Sur les traits de mains de l’espoir
Mais les hommes ne seraient
Jamais que vents
Et leurs paroles
Et leurs prières sourdes
Silence où coulerait sa dernière prière
L’homme
Tout l’homme
Son testament
En lampée
Désespérée
à dos d’un radeau
Je serais
Vent
Par-dessus
Les murs des chancelleries
Souffle par-delà les armoiries

~

Et je dirais
Joyeux anniversaire
Femme de mes rêves
Muse de mes éveils
Pour toi cette gerbe d’accents
Chargés du cristal
De mes écrins
Et la vague ne serait plus onde
Et la grève ne serait plus sable
Mais électricité
Phosphore
Tout le phosphore
Du zénith à l’angle
Optimal
Géométrie
Toute la géométrie des sens
Réécrits
à l’aune d’un seul
De tes cils
Mais tu ne m’entendrais plus
Je serais vent
Par le vœu d’une barque
Allé à vaux-la-bière
Aux flancs d’un accueil inattendu

~

Des fois, je voudrais prendre
Un crayon à bille,
Lui souffler à l'oreille
Ce que la brise du matin
Dirait au sable du littoral;
Ce serait des mots
De tous les jours,
Des mots simples
Et onctueux mais si forts
Et si vivifiants . . .
Des mots faits du sable des îles
Des mots qui auraient su la poterie de la mer
Des mots à bille
Leur souffler
à l'oreille ce que la brise du matin
Dirait au vent du littoral...
Et ma terre
Notre terre
D’une rive à l’autre rirait
De mes espérances
Ma terre rirait
De mon rêve de grand air

~

Mon rêve
De jour
Dans l’œil
Du destin
Cent fois
Naufragé
Il en serait des vents comme des gens
Rencontres au détour d’un angle
Courses à l’unisson
Farandoles aux ruelles épanouies
Et les soirs d’amarres délacées
Il en irait des vents comme des gens
Semés
Les-un seraient tempête
Les autres
Brise
Adieux parfois célébrés comme des noces
Joies aux quais médusés
Et les gens souffleraient se rassembleraient
Se ressembleraient
Nulle énigme
La nature ferait consonance
Avec elle-même

~

Alors libre de ma terre
Je clamerais innocence
Et mon innocence serait d'oxygène
Je me l’offrirais volontiers évitant juste
D’en faire un cyclone
Personne ne m'empêcherait d'être chaste
La scène de l’innocence serait une grande berge sans marge
à elle j'irais à la vitesse de ma soif
Au rythme de ma fantaisie
Sans mimique
Sans préoccupation
Sans même souci d'élégance
Je réinventerais
Le feu des cales
à coup de suicides
Saisonniers
Et je dirais
Heureux les naufragés
Ils seront naturalisés
Heureux les absents
Des bières ils recevront
N’ont-ils pas levé le coude de l’ancre
Sacrifié aux bulles du rêve
Et nous monterait l’antique nausée
Des cales
Le chancre blasphématoire
Des chansonnettes salaces

~

Et nous monterait
L’écho du mal-de-mer
L'écho
Où cuveraient leur saoul
Toutes les colères séculaires
La tempête
Dans l'ovaire d’un naufrage
Sans horizon
Nous ne voudrions
De cette plaie à l’encoignure
Des mots
Nous ne voudrions
Du faux requiem
Des sympathies tardives
Ne voudrions des sourires de plâtre
à la rescousse
Des seules causes perdues
Ne voudrions des caresses langoureuses
Aux présences désertées
Ne voudrions de la poigne chaleureuse
Au matin consciemment
Refroidi

~

Et nous monterait l’antique nausée
Des cales
Le chancre blasphématoire
Des chansonnettes salaces
Et nous monterait
L’écho du mal-de-mer
L'écho
Où noieraient leur saoul
Toutes les colères séculaires
Mais
Où renaîtrait
Cet espoir
Au creux de soi
Qu’une Blanche
Indéfiniment
Ne vaudrait
Deux Noires
Sur la portée musicale de la vie  


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